Espace Santé Jeunesse – 2006

 

Espace Santé Jeunes – Rapport d’activités 2006

 

Séances d’Art-thérapie en individuel

Eric Barbier – Art-thérapeute, ESJ

 

 

Un suivi singulier…

 

Je reçois à Espace Santé Jeunes pour des séances d’Art-thérapie, depuis maintenant plusieurs années. En 2006, j’avais la possibilité d’accueillir le mercredi soir et le vendredi après midi, ce qui permettait de proposer entre 7 et 8 séances en individuelles par semaine, soit  environ 300 séances annuelles.

 

Je vous propose pour cette année de m’attarder sur un suivi parmi de nombreux autres, pour lequel je vais relater l’enchaînement de quelques séances d’art-thérapie. Une sorte d’étude de cas qui me semble pouvoir éclairer la pratique d’art-thérapie que je peux avoir à Espace Santé Jeunes, mais aussi m’éclairer par l’exercice clinique qu’il occasionne.

J’ai choisi le suivi d’un garçon de 11ans et demi, que j’appellerai ici ; Akim, pour des besoins de confidentialité évidents.

Cet accompagnement a débuté en 2006 et continu cette année.

 

 

Je reçois Akim pour la première fois avec sa mère. Tous deux ont été envoyé à Espace Santé Jeunes par l’assistante sociale du collège que fréquente le jeune garçon.

Même si l’Assistante sociale avait pensé à une orientation en Art-thérapie, je le reçois avec sa maman dans le cadre d’un premier accueil, afin d’identifier la demande du jeune et de vérifier l’orientation thérapeutique.

Lors de ce premier entretien, j’écouterais le jeune avec sa maman, puis je recevrais Akim et ensuite sa maman, seule. Les raisons évoquées par la mère sont des problèmes de comportement à l’école, à la maison, dans l’ensemble cela semble aller. Quand à Akim, lui me parle rapidement du besoin que son père s’intéresse à lui. L’enchaînement de cause à effet entre les deux raisons énoncées pour un désir d’accompagnement par la mère et par Akim, semble assez évident ; Akim se fait remarquer de manière importante au collège, … dans l’espoir que son père s’intéresse enfin à lui. Mais, bien entendu, les choses ne peuvent-être aussi simples !

Nous nous mettons d’accord avec Akim sur un accompagnement en art-thérapie à raison d’une séance tous les quinze jours.

 

Je reçois donc Akim pour une première séance d’art-thérapie. Il me dit que ça commence à aller mieux à l’école, que notre discussion a fait du bien et que sa maman et son père ont parlé ensemble à propos de notre dernier rendez-vous.

Je lui propose alors un modelage à tour de rôle, que j’appelle un mod’squiguel, au sujet duquel j’ai donné de large explication dans le rapport d’activité précédent.

Cette séance est très riche, Akim “accroche” manifestement au modelage de la terre, révélant une véritable appétence, une forte capacité créatrice et un transfert patent avec le thérapeute.

Le modelage réalisé ce jour là s’appellera : Le lutin de la nature.

Voici la description qu’en fait Akim ; « Un visage avec une feuille de palmier sur la tête, un long nez, une barbe et une queue de cheval, des poils dans les oreilles, de grosses joues. Il tire la langue et louche. Il a aussi un champignon sur la tête. Il est plutôt méchant, fait des grimaces et essaie de faire peur, il y arrive un peu d’ailleurs à faire peur ».

Ensuite nous associons librement a propos de tout ce que ce modelage nous évoque. « C’est la fusion entre un champignon et un lutin, il ressemble à un motard américain avec plein de tatouage… un Hells Angels…, un bonhomme de neige à qui l’on à rajouté des choses bizarres, une tête de squelette, un lutin amazonien ».

Nous revenons sur la fusion entre un champignon et un lutin , ce qui nous amène à évoquer les origines d’Akim. Son papa est originaire d’Afrique noire, sa maman du Maghreb. Akim ne sait rien de plus précis des origines de ces parents. Il me dit que cela l’intéresse mais qu’il n’ose pas questionner son père en particulier.

Par la suite Akim rajoutera à propos du personnage modelé ; « il a trop bu, ou il est écœuré car il a mangé quelque chose de pas bon ».

 

La séance suivante, riche des éléments récoltés lors de nos deux rencontres, je lui propose de faire un modelage avec pour thème son père. Ici Akim travaillera seul. Il réalisera un modelage avec visiblement beaucoup de plaisir et de concentration qu’il nommera : Toutes les colères sont les mêmes.

Je demande à Akim de me le décrire ; « Une tête qui fronce les sourcils, un long nez, un trou à la place des joues, des yeux globuleux, une coupure à la nuque, un trou dans le crâne, de grandes dents, il est un peu en colère… ».

Nous nous attardons surtout sur la colère et Akim se met à pleurer en évoquant celle-ci par rapport à son père. Il aimerait qu’il soit plus attentif, qu’il réagisse davantage, (« il ne réagit que quand il est directement atteint », me dira t-il), qu’il soit moins égoïste.

 

A la troisième séance d’Art-thérapie, je lui propose la thématique autour de ses origines. Avec toujours un grand plaisir, il donnera forme à un modelage que je trouve très beaux, plutôt abstrait, qu’il appellera : Les animaux mêlés.

Voici la description de ce qu’il voit ; « Beaucoup de boules, des creux, des parties lisses, plusieurs têtes d’animaux collés, une falaise, une touffe de cheveu… ».

J’évoque avec lui les coiffures africaines que son modelage m’évoque, je lui montre une photo d’une tête d’une figurine africaine et je lui apporterais à la prochaine séance un livre avec de nombreuses images de coiffures. Nous évoquons les origines géographiques d’Akim, il me dit qu’il a demandé à son père de lui parler de son pays…

A l’issue de cette troisième séance, comme notre contrat de départ le stipulait, Akim doit se prononcer sur son désire de poursuivre le travail en Art-thérapie, ou si au contraire il souhaite en rester là. Akim désire continuer, et nous reprenons rendez-vous.

 

S’ensuit une absence, puis une annulation et enfin un report de rendez-vous de mon fait pour ce dernier. Les vacances de Noël étant juste derrière, nous nous reverrons après une interruption de presque deux mois.

 

Après une reprise de contact où je ne proposerais pas à Akim du modelage, mais après cette longue interruption, le questionner à nouveau sur son désir de poursuivre ce travail de thérapie. Il me dit que « cela peut l’aider face aux difficultés de la vie », et aussi qu’il va mieux, qu’il s’est beaucoup calmé à l’école et surtout que cela se passe mieux avec son père. C’est-à-dire qu’il arrive davantage à parler avec celui-ci, même s’il me rapporte peu d’éléments dans ce sens. Akim semble arriver à lui poser des questions, même si celui-ci ne lui répond pas vraiment ou renvoi à plus tard une réponse possible.

 

Quinze jours plus tard, je lui propose de travailler sur les difficultés de la vie, qu’il avait évoqué la dernière fois. Il produira un modelage qu’il intitulera : Zeus, ou L’empereur du Bon et du Mauvais.

 

Akim me parle beaucoup de sa demi-sœur âgée de trois ans et demi, dont il assume fréquemment la garde. Cela motive une proposition de travail autour de sa relation avec elle. Le Torphant, sera le titre du modelage réalisé…

 

Le “matériel” récoltés au cours des séances et ma première rencontre avec Akim et sa mère, m’avait orienté vers les difficultés de communication entre Akim et son père, et surtout le besoin du premier d’exprimer sa colère et sa déception du manque d’intérêt paternel. Cependant, comme je le disais plus haut, les choses ne sont jamais aussi simples. D’une part, Akim est très “collé” à sa demi-sœur, il vient d’avoir 12 ans et préfère rester à la maison à « faire des bêtises » avec sa sœur de 3 ans et demi. Il est peu enclin à sortir, jouer avec des copains… même si les exigences des adultes, lui demandant de “garder” sa sœur, sont réelles. Cette difficulté à prendre de la distance est sans doute une piste à explorer plus avant.

D’autre part, le besoin de questionner son père autour de ses origines, peut-être entendu de plusieurs manières. Akim a sans doute de véritables interrogations concernant la réalité de son géniteur. Cette interrogation est d’ailleurs de part et d’autre puisque plus tard dans le suivi, la mère me dira que le père d’Akim lui répète sans cesse lorsqu’elle lui relate les bêtises faites à l’école, en vue de le faire réagir : « tu es sûr que c’est mon fils ? ». C’est bien entendu un doute exprimé concernant l’implication de son fils, mais cela peut-être entendu aussi à un autre niveau. Je pense en effet que la question de la filiation est au cœur de leur problématique.

Plus tard encore, un épisode de “crise”, où j’ai dû recevoir la maman avec Akim, m’a éclairé d’un jour nouveau. Akim me dira qu’il ne sait pas pourquoi il se comporte ainsi à l’école et qu’il sait que cela blesse sa mère. Il m’est apparu alors que ses problèmes de comportement étaient autant adressés à la mère qu’au père. Et, que ce message adressé à la mère était à creuser avec plus de précision.

 

Les productions plastiques réalisées par Akim sont souvent d’une grande qualité. Il est très concentré pendant le modelage et je lui laisse un temps de solitude en allant me laver les mains après avoir installé le bloc de terre. Sciemment je laisse à Akim ce moment, plus long que pour d’autre participant. Cette courte absence me permet de vivre une réelle surprise dû à l’évolution du modelage et plusieurs fois  j’ai trouvé le modelage très beau. Je ne me prive pas en général de partager ce sentiment avec Akim. A l’occasion de ces considérations esthétiques, Je ne manque pas de montrer des images, de citer, des livres, des films… qui seront des références artistiques associés au travail thérapeutique.

Les réalisations peu figuratives et les titres qu’Akim y associe dénote d’une grande finesse, d’une certaine richesse de vocabulaire et d’une liberté créatrice très intéressante.

Akim parle peu et ici le tiers qu’introduit l’objet modelé permet avec évidence de libérer sa parole – Ce tiers est un étayage précieux favorisant l’élaboration – de mettre une distance réflexive entre lui et lui-même, avec une prime de plaisir patente.

 

Je profite de cet espace pour souligner l’importance du travail d’analyse de pratique qui nous est proposé à Espace Santé Jeunes, ce lieu est pour moi d’un enrichissement certain et un outil pour mieux travailler. Mieux travailler notre propre élaboration clinique face aux suivis comme la pertinence des orientations.

 

Eric Barbier psychotherapeute – art-thérapeute Espace Santé Jeunesse – 2006

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